Dès sa première expérience hors du sol américain, la Walt Disney Company obtient un résultat allant au-delà de ses espérances : en moins de dix ans, depuis son ouverture le 15 avril 1983, près de 120 millions de personnes auront bientôt visité Tokyo Disneyland, copie (presque) conforme des parcs américains gérée par une société japonaise, Oriental Land. Lorsque Michael Eisner prend la tête de la Walt Disney Company en septembre 1984, il ne fait aucun doute que le potentiel de développement international des parcs Disney a longtemps été sousestimé. Pour les américains, l'Europe sera la prochaine terre de conquête. Et pour accueillir les envahisseurs sur leurs grands bateaux, les indigènes français se sont armés... de colliers de fleurs.
ela devait être un succès populaire, une réussite économique digne de l'une des plus grandes sociétés de loisirs... et cela reste un désastre pour des dizaines de milliers de particuliers ayant acheté des actions Eurodisney lors de leur introduction en bourse. Ce n'est pourtant pas la frilosité des pouvoirs publics français, mais plutôt les erreurs "d'appréciation" des équipes de management américaines qui contribuèrent à déstabiliser ce projet d'un coût proche de 30 milliards de francs, dont on évoqua un temps la possible fermeture.
La Costa n'a pas la cote
Lorsque Charles de Chambrun, ancien ministre du Commerce Extérieur du Général de Gaulle, conseille en 1984 à un chef de cabinet d'Edith Cresson "d'aller faire un tour aux USA", ce n'est pas pour y prendre quelques jours de repos. Disney est alors un partenaire informel à la recherche d'un site d'accueil pour l'implantation d'un nouveau parc à thèmes. En Espagne, Disney pourrait bénéficier de la clémence du climat, atout non négligeabe pour un tel site ouvert 365 jours par an. En France, le bassin de population et le développement des réseaux de transport constituent des attraits sérieux, que le climat ne tempère que modérément : le parc de Tokyo attire les foules malgré le contexte japonais pluvieux qui a imposé la couverture de Main Street par une halle. Quoi qu'il en soit, Marne-la-Vallée s'impose rapidement face à la Costa del Sol, mais les représentants de Disney exacerbent la concurrence pour négocier plus librement avec les gouvernements. Pour les collectivités locales, le match est inégal, et Disney impose peu à peu ses exigences. "Le monde politique était preneur de l'hypothèse Disney pour tous les emplois que ça allait créer", rappelle Gérard Burlet, élu conseiller général RPR de Torcy (en ville nouvelle) en 1985. Dès les premières annonces officielles, il demande à être associé en tant qu'auditeur auprès du Conseil Général. "Mais les véritables discussions se déroulaient au niveau des cabinets", découvre-t-il rapidement. "Les américains sont arrivés comme des héros, en disant : il n'y a plus de guerre maintenant, mais nous, Disney, arrivons pour vous sauver". Bientôt, Etat et Conseil Régional sont prêts à donner leur accord au projet alors qu'est nommé en août 1985 un négociateur unique : Jean Peyrelevade. Pourtant, à cette époque, jamais encore le Conseil Général de Seine et Marne n'a été associé aux négociations. La conséquence d'un vieux fond de centralisme pour Gérard Burlet qui assure que Paul Séramy, alors président du Conseil Général, demeurait serein. "Il savait qu'un jour ou l'autre, on viendrait le voir". Effectivement.
Une haie de laquais pour les américains
Le 14 décembre 1985, le Conseil Général organise au château de Vaux-le-Vicomte la cérémonie de remise des récompenses du Grand Prix Départemental d'architecture contemporaine. La soirée est déjà bien avancée lorsque le directeur de cabinet de Paul Séramy reçoit un appel de Jean Peyrelevade lui proposant de rencontrer le négociateur Disney. "Ils venaient de s'apercevoir que sans le département, aucun accord n'était possible", sourit Gérard Burlet. "Je n'ai jamais su si c'était un hasard ou prémédité, mais vers minuit est arrivée la délégation Disney, accueillie dans un château historique comme il n'en n'existe pas aux Etats-Unis. Il y avait une haie de laquais, les bougies au sol... les américains avaient du rêve dans les yeux!". Quatre jours plus tard, à Matignon, Laurent Fabius, Micheal Eisner, Edith Cresson et Michel Giraud signent la lettre d'intention pour l'implantation d'un parc d'attractions. La France a gagné son pari. Disney aussi.
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"Pro" et "anti" Disney |
Selon Yves Eudes, l'attitude des opposants ou des partisans de Disney est avant tout la résultante de divergences historiques et culturelles. D'un côté, "les décideurs français qui ont participé aux négociations ont grandi sous l'occupation, et l'on n'imagine pas ce qu'ont pu représenter pour eux les américains". A l'inverse, les opposants "étaient d'une autre culture, le mur de Berlin existait encore. C'était les mouvances communistes, d'extrême droite, des intellos de gauche. Ils avaient cette équation : Disney, c'est le symbole de l'Amérique, donc Disney c'est l'Amérique. C'est faux".
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| "Les américains sont arrivés comme des héros, en disant : il n'y a plus de guerre maintenant, mais nous, Disney, arrivons pour vous sauver" | |
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